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PHILOSOPHIE, SOCIOLOGIE, POLITIQUE, HISTOIRE, EDUCATION, ENVIRONNEMENT, RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES

25 Oct

Jean Jaurès et Jules Guesde, Discours des deux méthodes, 1900

Publié par J. CORREIA  - Catégories :  #Politique, #sociologie

Jean Jaurès et Jules Guesde, Discours des deux méthodes, 1900

 

Dans le cadre de l'entrée d'un socialiste au sein du gouvernement, le débat fait rage entre les militants qui y voient un ''progrès pour le socialisme'' et ceux qui y voient une compromission. En octobre 1900, un débat fut organisé à Lille, dont le maire était un socialiste, auquel Jean Jaurès et Jules Guesde furent invité à défendre leur point de vue.

Le Discours des deux méthodes est la retranscription de ce débat contradictoire.

Jaurès incarne et défend l'entrée de socialistes au gouvernement d'une manière très claire et pédagogique. Guesde dénonce une compromission avec un certain talent oratoire.

 

Ce qui est remarquable dans ce débat dont l'enjeu est historique pour le mouvement socialiste est que les deux protagonistes s'affrontent, argumentent sans jamais dépasser la mesure. On sent un profond respect de militant à militant. Un tel débat entre personnalités de gauche n'est guère envisageable de nos jours tant les insultes et expressions toutes faites vide de sens (islamo-gauchisme !) ont remplacé le discours raisonné.

L'affaire Dreyfus y est également discutée, et les deux orateurs ont des positions opposées, sans qu'on en arrive à s'insulter de tous les noms. A la fin de la lecture, il est bien difficile de dire qui a raison tant les discours sont cohérents.


 

Jean Jaurès et Jules Guesde, Discours des deux méthodes, 1900

Argument de Jaurès

Jaurès débute en donnant trois condition à la lutte des classes : la division de la société en deux classes hostiles (capitalistes et salariés) à cause de la propriété privée. L'espoir d'une société plus juste. Et le devoir des travailleurs de s'auto-émanciper sans attendre un quelconque messie.

 

De cela, il affirme aux auditeurs que « Il ne vous est pas possible, par la seule idée de la lutte de classe, de décider si le prolétariat doit prendre part à la lutte électorale et dans quelles conditions il doit y prendre part ».

 

Jaurès revient ensuite sur la nécessité de faire une distinction entre les différents partis bourgeois :

« Oui, la société d'aujourd'hui est divisée entre capitalistes et prolétaires. Mais, en même temps, elle est menacée par le retour offensif de toutes les forces du passé, de la barbarie féodale, et c'est le devoir des socialistes, quand la liberté républicaine est en jeu, quand la liberté de conscience est menacée de marcher avec celle des fractions bourgeoises qui ne veut pas revenir en arrière ».

 

En la matière, l'affaire Dreyfus fut une lutte entre diverses fractions de la bourgeoisie. Les plus réactionnaires souhaitaient enterrer Dreyfus et sauver l'honneur de l'institution militaire. Jaurès affirme que ce fut l'honneur du prolétariat de prendre la défense de Dreyfus et de contribuer à « la découverte d'un des plus grands crimes que la caste militaire ait commis contre l'humanité ».

Il y voit une juste lutte contre le militarisme : « le militarisme n'est pas dangereux seulement parce qu'il est le gardien armé du capital, il est dangereux aussi parce qu'il séduit le peuple par une fausse image de grandeur, par je ne sais quel mensonge de dévouement et de sacrifices ».

Concernant l'entrée du socialiste Millerand dans le gouvernement de défense républicaine de Waldeck-Rousseau, Jaurès y voit également une occasion « d'aller s'asseoir dans les gouvernements de la bourgeoisie pour contrôler le mécanisme de la société, pour résister le plus possible aux entraînements de la réaction, pour collaborer le plus possible aux œuvres de réformes ». Il comprend les réticences de nombre de militants, mais il cite en exemple la Social-Démocratie Allemande qui avait les mêmes réserves. Il met en avant Liebknecht n'hésitant pas à entrer au Landtag saxon en prêtant serment de fidélité à la constitution royale et bourgeoise.

Il conclut : « car je ne suis pas un modéré, je suis avec vous un révolutionnaire ».

 

Jean Jaurès et Jules Guesde, Discours des deux méthodes, 1900

Argument de Guesde

Guesde ne peut accepter de demander aux prolétaires, au nom même de la lutte des classes, d'oublier leurs souffrances, les injustices dont ils sont victimes, pour plaindre l'un des membres de la classe des oppresseurs frappé par la justice de sa propre classe (Dreyfus). Guesde est toutefois intervenu dans la polémique contre la réaction militaire qui menaçait la république d'un coup d'Etat.

 

Il ne pouvait cependant s'agir de soutenir Dreyfus : « cette victime-là, c'est un des membres de la classe dirigeante, c'est un capitaine d'état-major – c'est l'homme qui, en pleine jeunesse, fort d'une richesse produit du vol opéré sur les ouvriers exploités par sa famille et libre de devenir un homme utile […] a choisi ce qu'il appelle une carrière militaire ».

Il rappelle que nombre de prolétaires ont été arrachés à la charrue, à l'atelier, pour leur mettre un uniforme sur le dos, un fusil entre les mains, et ont dû subir l'inique justice militaire alors qu'ils ne sont pas venus à la caserne de leur plein gré. « mais lui [Dreyfus], il savait ce qu'il avait devant lui lorsqu'il a choisi le métier des armes ; c'est de propos délibéré qu'il s'est engagé dans cette voie, partisan des conseils de guerre tant qu'il n'a cru qu'ils ne frappaient que les prolétaires […] Telle était la victime pour laquelle on avait osé la prétention de mobiliser tout l'effort prolétairien et socialiste ».

 

Guesde retourne alors l'autorité de Liebknecht contre la justification de Jaurès – triompher du militarisme – pour engager le prolétariat au côté de Dreyfus. Liebknecht s'y opposait également. Et il eut raison, dit Guesde, car au final, outre le fait d'avoir « porté de l'eau au moulin du militarisme, du nationalisme et de l'antisémitisme », il n'y a eu aucune victoire pour les prolétaires : « au bout de l'affaire Dreyfus, il n'y a pas eu de suppression des conseils de guerre, il n'y a pas e la moindre modification à la justice militaire, il n'y a rien eu de ce qu'on vous promettait […] campagne personnelle, elle n'a eu qu'un effet personnel ».

 

Sur la question de la participation des socialistes au gouvernement, Guesde déplore que, l'affaire Dreyfus aidant, « la lutte de classe aboutisse ainsi à la collaboration de classe ».

Jaurès s'est revendiqué de l'autorité de la Social-Démocratie Allemande sur le fait d'envoyer des élus au Gouvernement.

Quel rapport peut-il y avoir entre les deux événements ? interroge Guesde.

Les conditions sont très différentes : « Pour entrer dans le Reichstag de la Confédération de l'Allemagne du Nord, il fallait y être porté par les camarades ouvriers organisés ; il fallait y entrer par la brèche ouverte de la démocratie socialiste ; on était le fondé de pouvoir de sa classe […] On s'introduisait dans l'Assemblée élective, comme un boulet envoyé par le canon populaire ».

S'agit-il de la même chose avec Millerand ? Assurément non. « Il est arrivé au gouvernement appelé par la bourgeoisie gouvernementale ».

« C'est parce que le socialisme est devenu une force et un danger pour la bourgeoisie, à laquelle il fait peur, que celle-ci à songé à s'introduire dans le prolétariat organisé pour le diviser et l'annihiler. Mais ce n'est pas la conquête des pouvoirs publics par le socialisme, c'est la conquête d'un socialiste et de ses suivants par les pouvoirs publics de la bourgeoisie ».

 

 

 

 

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