Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

PHILOSOPHIE, SOCIOLOGIE, POLITIQUE, HISTOIRE, EDUCATION, ENVIRONNEMENT, RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES

01 Oct

Catherine Guesde, Penser avec le Punk, 2022

Publié par J. CORREIA  - Catégories :  #Philosophie, #Politique, #environnement, #sociologie

Catherine Guesde, Penser avec le Punk, 2022

L'ouvrage est composé de différentes contributions sur le sujet du punk en tant que subculture subversive, le tout étant coordonné par Catherine Guesde, philosophe et musicienne.

 

À savoir, les auteurs disent bien plus que ce que j’en rapporte ci-dessous étant donné que je ne parle ici que des éléments qui m'ont interpellé, positivement ou négativement. Je passerai d’ailleurs très vite sur certaines contributions.

 

 

Punk féministe

 

L’ouvrage dans son ensemble, avec des contributions majoritairement féminines, fait la part belle au punk version féministe.

 

Louise Barrière évoque les Ladyfests, réseau de festivals entrecroisant culture punk et militantisme féministe. Inspirées des Riot Grrrls, il s’agit du « premier mouvement féministe d’ampleur à rompre avec une histoire masculine du rock en revendiquant un positionnement délibérément féministe ». Parti de l’Amérique du Nord au début des années 2000, le réseau s’est étendu à l’international en Europe dans les années 2010. Louise Barrière nous fait ainsi découvrir ces allemandes qui se battent pour imposer des pratiques féministes dans un univers où le virilisme n'est pas nécessairement en reste. Elle aborde le sujet sous l’angle philosophique des « savoirs situés ».

Affiche d'une Ladyfest allemande de 2011

Affiche d'une Ladyfest allemande de 2011

 

Punk et libération animale

 

Nicolas Delon tente de sonder le lien entre punk et libération animale. Il nous fait découvrir une scène musicale engagée, avec des groupes comme NOFX, Earth Crisis, Cro Mags, avec un focus particulier sur le groupe canadien Propagandhi, dont le militantisme en faveur de la cause animale est particulièrement explicite.

Leur chanson Nailing Descartes to the wall avec son titre réagissant à la consternante opinion de Descartes tenant les animaux pour de simples automates dénués de toute conscience et de raison,est un véritable appel à la libération animale :

Propagandhi, Nailing Descartes to the Wall

Propagandhi, Nailing Descartes to the Wall

Nicolas Delon rappelle les liens forts, quoique non systématiques, entre la culture punk rejetant le consumérisme des sociétés capitalistes, et la mouvance végane (ou végétarienne) souhaitant se défaire des rapports de domination que l'humain impose aux animaux, pour sa seule satisfaction. L'essai de Jean-Marc Gancille, Carnage (2020), rappelait fort à propos que, malgré la possibilité de se nourrir d’une autre manière, l’humanité produit, élève et tue chaque année plus de 67 milliards d'animaux.

 

L'auteur ne se fait bien sûr pas d'illusion : « Aucune de ces chansons ne sauvera les milliards de vies exploitées et détruites par l'industrie animale, mais elles peuvent, parfois mieux que les meilleurs livres de philosophie, mettre des auditeurs, jeunes et moins jeunes, sur un chemin jonché de questions et de raisons » (p56). Petit clin d’oeil à la belle formule de Baptiste Morizot, Sur la Piste Animale (2016) : « on ne change de métaphysique qu'en changeant de pratique ».

 

 

 

Dharma Punx

 

Catherine Guesde focalise son article sur l’étonnant phénomène du Dharma Punx.

 

Le Dharma Punx est le nom d’un courant initié par Noah Levine, punk s’étant converti au bouddhisme. Levine défend une forme de parenté entre le bouddhisme et la culture punk. Ce qui, au premier abord, peut paraître paradoxal compte tenu du fait que le punk cultive une image d’agressivité, de violence et de vélocité tandis que le bouddhisme se complaît dans le calme et la contemplation.

 

La philosophe tente d’examiner un possible lien entre ces deux cultures. On peut effectivement relever la coïncidence de certaines valeurs : végétarisme, anti-consumérisme, etc. Il y a surtout, à l’évidence, un rapprochement à faire entre l’esprit de communauté punk et celui d’une communauté religieuse. Catherine Guesde rappelle à quel point pour les punks « l'appartenance à la communauté est centrale dans la constitution de leur identité ». Bien sûr, « ce point n'est certes pas spécifique au punk » (je retrouve la même chose par exemple dans la communauté Metal), et la philosophe précise que plutôt que de parler de religion, il serait plus pertinent de parler de substitut de religion, un substitut qui ne fait que « prolonger des modes d'appartenance, des types d'engagement, des rapports entre individus et communauté, déjà existant dans le punk » (p85).

 

Ceci ne suffisant pas à établir un lien solide entre le punk et la religion spécifique qu’est le bouddhisme, Catherine Guesde s’appuie sur un essai de Levine qui à cœur de montrer que la convergence entre punk et bouddhisme n'a rien d'un artifice.

Elle explique ainsi que « la continuité entre son identité punk et celle bouddhiste, qui cessent, d'après l'auteur, de paraître incompatibles lorsque l'on s'attache à observer non plus leurs manifestations extérieures, mais leur source : l'insatisfaction, qui donne aussi bien naissance à la révolte punk qu'à la pratique bouddhiste » (p78).

Toutefois, je dois reconnaître que je ne trouve pas cet argument beaucoup plus probant que les autres. De l’insatisfaction face au monde, il me semble que tout peut résulter ! Personnellement, en tant que metalhead depuis les 80's, j'ai longtemps estimé que la communauté Metal était principalement constituée d'individus réprouvant la société marchande et l’individualisme forcené promu par le capitalisme, et défendant une vision plus solidaire et humaniste de la société. Des groupes comme Rage Against The Machine, Sepultura, Trust, Sacred Reich, Gojira ou encore Napalm Death appuient cette idée. Nonobstant, on ne saurait nier l'existence dans le monde Metal de groupes aux tendances d'extrême-droite, fort heureusement très minoritaires, mais prouvant par là que du sentiment de révolte peut naître le jour et la nuit.

 

Rapprocher punk et bouddhisme sur cette base reste donc arbitraire. Ou plus précisément cela ne suffit pas à faire de la fusion Dharma/Punk autre chose qu’une rencontre fortuite et contingente.

 

 

 

Punk et écologie profonde

 

Fabien Hein, de son côté, propose d’éclaircir les liens entre mouvement punk et écologie profonde. On remarque d’ailleurs qu’il reprend un peu le même schéma que Catherine Guesde. En l'absence de réelle explication, le sociologue remonte en effet lui aussi aux « sources ». Alors que « l'insatisfaction face au monde » expliquait un rapprochement entre Punk et Dharma, cette fois, c'est « le sentiment de révolte », citation d'Arne Næss à l'appui, qui est appelé à faire un lien entre écologie profonde et punk.

La contribution ne s’arrête évidemment pas à cela. L’auteur met à juste titre en lumière une profonde identité de pensée entre la culture punk et l’écologie profonde telle que définie par Arne Næss :

« Tout indique que la contre-culture punk exerce, depuis plus de quarante ans, une influence considérable dans la diffusion des idées et de pratiques en matières politique et écologique. Sur un grand nombre de thèmes et de types de mobilisation, du véganisme à la permaculture, de la défense des animaux contre l'industrie agroalimentaire à celle des espaces naturels face au saccage productiviste, de la création de zones autonomes temporaires urbaines à la recherche de l'autosuffisance collective en milieu rural, les punks ont su détecter ou inventer avant l'heure de nouvelles modalités de résistance à l'ordre néolibéral triomphant. En ce sens, le punk rock offre à bien des égards une conduite existentielle en capacité de conférer une cohérence à un ensemble de perceptions et d'expériences mais aussi de déterminer un certain type de rapport au monde. C'est précisément cette dimension structurante qui donne toute sa valeur à l'expérience punk. Une expérience holistique qui, à bien des égards, la rapproche de l'écologie profonde d'Arne Næss » (p93).

 

Le sociologue affirme ainsi que la sensibilité environnementale de la communauté punk a sans doute permis de populariser la pensée d'Arne Næss en son sein.

L'écologie profonde, que Næss distingue radicalement de l’écologie superficielle, reconnaît pour primordiale la reconnaissance du fait que l'humanité ne soit qu’une composante parmi d'autres de la dynamique du vivant. Cette reconnaissance implique de changer complètement de rapport au monde, de rapport à la production, de rapport à l'exploitation, de rapport au vivant… Et c’est en effet cela qu’on retrouve dans l’esprit punk qui, selon l’auteur, favorise « un délaissement du capitalisme pour un attachement inconditionnel au Do-It-Yourself (DIY) ».

Effectivement, le DIY, d’ailleurs mentionné dans plusieurs chapitres de cet essai, semble être une pratique inconditionnelle et constitutive de la communauté punk. Il s’agit de pratiques quotidiennes et permanentes permettant d’éviter les relations marchandes (squat, auto-stop, récup’, permaculture, etc). Se passer des biens de consommation pour ne pas rentrer dans un système que l’on rejette, que l’on sait mortifère pour la planète.

 

 

 

Le rapprochement entre punk et écologie profonde, comme celui entre punk et bouddhisme ne va pas sans poser problème : dans les deux cas, les auteurs (C. Guesde et F. Hein) relèvent le risque d’une dépolitisation notoire du punk et d’un repli individualiste. On le conçoit aisément pour le bouddhisme qui invite à la contemplation intérieure, mais l’écologie profonde telle que la conçoit Arne Næss n’est pas en reste puisqu’elle invite également à « la réalisation de soi ».

 

Catherine Guesde répond à cette objection que le punk se préserve du repli égocentriste car le lien entre individuel et collectif est toujours sauvegardé : « Ces discours centrés autour du bien-être et de l'action positive gardent toujours en vue l'articulation entre l'individuel et le collectif. Contre une idée de développement personnel qui replierait l'individu sur lui-même, Dharma Punx maintient le sens de la communauté... » (p92).

 

Fabien Hein donne une réponse semblable : « la réalisation de soi procède d'un élargissement de la conscience […] Ce processus suppose une identification avec toutes les autres formes de vies. Le philosophe Hicham-Stéphane Afeissa, fin connaisseur de l’œuvre d’Arne Næss, estime que ‘la thèse de l’identification signifie exactement que le fait de devenir soi-même passe, d'une certaine manière, par la médiation de tous les autres (individus, entités du monde naturel, systèmes écologiques) avec lesquels l’on s’identifie et pour lesquels l’on finit par éprouver une forme d’empathie et de compréhension, inspirée par le sentiment de notre commune appartenance à un même destin évolutif’ » (p97).

 

Sales Punks !

 

L’article de Jeanne Guien est sans doute le plus intéressant. En se focalisant sur un point particulier de la culture punk, la saleté, elle en dévoile toute une conception philosophique implicite.

 

Si le punk se révèle généralement peu soucieux de son hygiène, ce n’est pas là le fruit d’une négligence particulière, mais un choix. Jeanne Guien met en garde philosophes et sociologues contre la tentation courante de chercher un sens symbolique (propre) derrière la crasse. Ce serait là un toilettage inapproprié. Pas question ici d’expliquer la saleté des punks par un sens symbolique caché. La saleté est un fait, et il faut le prendre tel quel : « Tout ce merdier est en cohérence avec la posture subversive que revendiquent les punks, si l'on se réfère à l'interprétation classique de la saleté comme ce qui est mis à l'écart pour produire un ordre social et le préserver » (p18).

En effet, la saleté est toujours corrélative à un système. Toute mise en ordre entraîne le rejet d'éléments considérés comme inappropriés.

Quelques groupes punks

Quelques groupes punks

C’est ainsi que le terme sale devient un stigmate, même lorsque il n'y a pas nécessairement lieu de parler de saleté. Par exemple, une tache toute fraîche de sauce tomate sur le col ne représente aucun risque hygiénique, mais ne pas changer de chemise avant d’aller en réunion est immédiatement considéré comme sale. Il devient même synonyme de dangerosité : l’auteure rappelle qu’on a été jusqu'à accuser le mouvement Occupy Wall Street de menacer la salubrité publique.

 

« La saleté est donc une catégorie sociopolitique, avant d'être un problème hygiénique : s'y référer, c'est reconnaître un ordre et témoigner du respect qu'on lui porte […] La propreté est une discipline individuelle qui sanctionne la reconnaissance d'un pouvoir et en acte l'effectivité. La saleté, au contraire, est une forme d'exclusion qui peut se muer en insoumission » (p20).

Par la saleté, le punk exprime donc son refus de cautionner le système dominant. Par leurs pratiques, les artistes de la scène punk ramènent « le hors-monde au milieu du monde, sur le devant de la scène ».

 

« L'apparence sale sanctionne ainsi l'ouverture d'un espace entre monde et immonde, entre scène sociale et ob-scénité, d'où la critique de l'ensemble du système devient possible. Ce tiers espace, c'est la scène punk. Essentiellement déplacée, vouée à la perturbation et à la contagion, elle permet d'accomplir le passage entre une saleté subie (l'exclusion) et une saleté agie (la contestation) » (p21).

 

L’auteure met en lumière le régime particulier de certains punks, lié à cette culture du DIY. le mouvement Freegan prône un régime déchétarien, se basant sur la collecte de nourriture dans les poubelles. L’inventeur du terme Freegan, le batteur du groupe Against Me!, explique :

 

« Le freeganisme est essentiellement une approche anticonsumériste de l'alimentation […] Pour vivre, nous avons le choix entre deux options : 1) gaspiller notre vie à travailler pour gagner de l'argent permettant d'acheter des choses dont on n'a pas vraiment besoin et de détruire l'environnement ou 2) vivre une vie pleinement satisfaisante, en partant récupérer à l'occasion et en développant les savoir-faire qui permettent d'être autonomes, de trouver la nourriture et les objets qui nous satisfont, sans avoir d'empreinte trop lourde sur la planète, mais en réduisant les déchets et en boycottant tout. » (Warren Oakes, Why Freegan, 1999)

 

Partant du constat de l'échec des actions de boycott – peu importe ce qu’on achète, on encourage un modèle économique mortifère –, Oakes reconnaît que le problème ne vient pas de quelques vilaines entreprises, mais du système tout entier. C’est donc dans un souci d’expérimenter des modes de vie alternatifs qui permettent de participer le moins possible à l'économie et de réduire sa consommation de ressources, que le régime déchétarien s’impose comme une solution rompant radicalement avec une conception hygiéniste et capitaliste.

 

Je relève par conséquent une tendance notable dans la culture punk à créer ainsi, sinon des mondes autonomes, du moins des situations échappant au contrôle de l’ordre dominant, capitaliste et marchand. Cela rejoint quelque part ce que l’historien Jérôme Baschet appelait des zones libérées dans son essai Adieux aux capitalismes, appelant à créer un peu partout des collectifs, des lieux, non soumis à la logique marchande, préservés de l’emprise capitaliste.

 

Cette expérience est d’ailleurs également évoquée, sur une échelle temporelle longue, dans le chapitre rédigé par Fabien Hein. L’expérience punk MaximumRockNRoll débute dans les années 1980, par une simple émission de radio punk. L’animateur multiplie les actions (fanzine, salle de concert, magasin de disque, vente par correspondance…) qui se caractérisent par une autogestion à vocation non lucrative, tous les profits étant réinvestis dans la scène punk local. En quelque sorte, un centre de ressource fait par les punks pour les punks et qui perdure vraisemblablement encore de nos jours.

Des sites indépendants, affranchis des logiques marchandes, soucieux de minimiser son impact sur une nature déjà mise à mal, c’est ce que les différentes communautés punks tentent de faire vivre.

 

Catherine Guesde, Penser avec le Punk, 2022
Commenter cet article

À propos

PHILOSOPHIE, SOCIOLOGIE, POLITIQUE, HISTOIRE, EDUCATION, ENVIRONNEMENT, RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES