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PHILOSOPHIE, SOCIOLOGIE, POLITIQUE, HISTOIRE, EDUCATION, ENVIRONNEMENT, RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES

15 Jan

Notes de lecture – Marc Dugain & Christophe Labbé, L'homme nu, la dictature invisible du numérique, 2017

Publié par Jerome Correia  - Catégories :  #sociologie, #politique

Notes de lecture – Marc Dugain & Christophe Labbé, L'homme nu, la dictature invisible du numérique, 2017

La « Révolution numérique » est une thématique omniprésente qui fascine et qui inquiète également. Il est important de faire un point ; c'est ce que propose cet essai écrit à quatre mains.

 

Nous sommes cependant loin du travail de fond qui serait nécessaire pour affronter ce type de question. Commençons donc par les défauts : écrit par un journaliste et un écrivain, l'ouvrage ne pouvait guère prétendre au statut d'enquête sociologique. Dès l'introduction on commence par un procès d'intention. L'exercice est simple, il s'agit de partir d'une intention supposée des acteurs pour expliquer tous les événements dans une certaine cohérence. Plus l'hypothèse va pouvoir expliquer les choses en cohérence, plus elle va être crédible. Évidemment, cela n'a rien probant, nous ne sommes pas là dans une démarche scientifique.

Il y a aussi dans ce livre une pratique très fréquente de la comparaison. Comparaison n'est pas raison, non plus.

Enfin, on dénote une certaine tendance à jouer sur l'aspect émotionnel, sur la peur. Dans l'introduction, on nous avertit que bientôt les Big Data pourront tout prévoir, tout savoir à l'avance : « L'objectif des Big Data est ni plus ni moins de débarrasser le monde et son imprévisibilité, d'en finir avec la force du hasard [...] dans quelques années, il sera possible, en multipliant les corrélations, de tout savoir sur tout. La technologie connectée sera bientôt en mesure de réaliser un check-up permanent de l'être humain. »

Quelques pages plus loin, pourtant, le soufflé retombe : on nous fait comprendre que l'utilisation des Big Data, dans le cadre du terrorisme par exemple, ont finalement plus desservi qu’aidé les renseignements généraux ! Sans une once d'hésitation, les auteurs écrivent : « on est en train de bâtir une ligne Maginot numérique ».

 

Ayant constaté ces défauts au préalable, on peut se concentrer sur ce que nous apprend ce petit ouvrage.

 

« Leur intention est de transformer radicalement la société dans laquelle nous vivons et de nous rendre définitivement dépendant. ».

Voici donc l'hypothèse de départ qui va structurer toute l’œuvre.

 

Celle-ci est inopportunément illustrée par une référence à Platon. L'auteur avance que, comme dans le mythe de la Caverne, les gardiens de la grotte (les dirigeants des GAFA) sont des illusionnistes qui font en sorte que les esclaves se croient libres. C'est malheureusement faux, dans le récit de Platon les esclaves ont « les jambes et le cou enchaînés ». Le reflet qu'ils prennent pour la réalité sont l'ombre de passants sur une route derrière eux. Ces passants ignorent même la présence des esclaves et ne jouent aucunement aux illusionnistes. Dommage, une référence à Matrix aurait été sans doute plus pertinente (moins chic ?).

 

La révolution numérique est comparée à la Révolution pétrolière. Elle aura autant d'impact, sinon plus, sur nos conditions de vie. La seule différence relevée étant que les ressources sont désormais réputées inépuisables.

 

Première critique : les GAFA sont vivement critiqués sur leur participation à l'appauvrissement de la culture dans les sociétés occidentales et partout où ils s'imposent.

La culture du selfie en prend un coup, décrit comme une sorte de « boulimie visuelle [où] le présent ne prend sens que sous la forme d'un souvenir pixellisé. »

Facebook n'est pas en reste, qui prétend rassembler les gens. Cela est dénoncé comme une véritable illusion. On se retrouve en réalité tous enfermés dans des univers virtuels, coupés du réel. « Déjà nombre de professeurs remarquent l'isolement d'élèves toujours plus nombreux qui déambulent dans un monde imaginaire, loin du réel et de ses problématiques collectives, avec un seul objectif, être seul et jouer »

La publicité ciblée participe à cet isolement : On « enferme l'internaute dans des entonnoirs ». L utilisateur ne voit plus que ce qui est supposé lui ressembler, lui plaire. Cela pose clairement un problème d'accès à l'information.

 

Autre critique : les GAFA sont une menace pour la démocratie.

En ce qui concerne la circulation de l'information, « l'imbrication entre les Big Data et les agences de renseignement est une réalité incontestable » et n'est pas sans poser problèmes quant aux droits démocratiques de contrôle des données personnelles.

 

Les GAFA sont soupçonnés de vouloir destituer les politiques. Ils veulent vider la démocratie de sa substance, se passer du débat politique. « le pari de la Silicon Valley est celui de la gouvernance par les données. S'affranchir du débat politique dans un souci de performance, et remplacer les lois par des règles algorithmiques

A l'appui cette citation très juste de Giorgio Agamben : « la citoyenneté se limite désormais a un statut juridique et à l'exercice d'un droit de vote ressemblant de plus en plus à un sondage d'opinion

Un peu plus loin, et bien que l'on puisse penser que ce soit là déjà le rêve de toute l'élite politico-financière depuis des décennies, les Big Data sont suspectés de vouloir « neutraliser les citoyens pour ne garder que le consommateur »

 

Autre critique : Les GAFA favorisent les inégalités. Tous les économistes le disent à l'envie : depuis les 80's les inégalités se creusent dans des proportions qui deviennent extrêmement inquiétantes. Ici l'on rappelle que « aujourd'hui, les 62 personnes les plus riches de la planète détiennent autant de ressources que la moitié de l'humanité la plus pauvre, soit 3,5 milliards d'individus... ». Mais le petit plus est que l'on y apprend que, parmi ce gratin de 62 personnes, les dix premières fortunes appartiennent quasiment toutes au monde des Big Data. Parmi eux, Bill Gates (Microsoft), Jeff Bezos (Amazon), Marc Zuckerberg (FB), Larry Page (Google).

 

En observant le comportement de ces grandes fortunes liées aux GAFA, on s'étonne :

Les plus riches familles de la Silicon Valley protègent leur progéniture du numérique : écoles non connectées, pas de portable avant un âge avancé (13-14 ans)… Les mêmes pourtant exigent des états qu'ils investissent dans les tablettes pour les écoles dès la maternelle !

 

Comme dit au début, ce livre cède quelques fois au fantasme. On diabolise ou on grossit le trait pour faire peur, on rend les GAFA plus puissants qu'ils ne le sont réellement. C'est le cas sur le thème de « l'homme augmenté » que les auteurs nous dépeignent comme, à portée de main.

C'est encore plus flagrant sur l'idée que nous apprêterions à vivre dans une société sans travail. S'appuyant sur la multiplication des robots et du travail automatisé, les auteurs affirment que l'on s'approche du travail réduit à zéro. Or, ceci est absolument faux à l'échelle mondiale. De 2 milliards en 1990, le nombre de salariés dans le monde atteint aujourd'hui les 3,5 milliards. Croire que le travail disparaît est une illusion proprement occidentale. Allez donc en parler aux chinois ou aux enfants africains qui récoltent le cobalt nécessaire à vos smartphones !

A la suite de cette vue erronée, les auteurs estiment que le Revenu Universel viendrait opportunément combler ce problème. Que ce serait suggéré par les GAFA. Avec ce revenu les gens peuvent continuer à produire des informations sur le net. Tout le monde y gagne. Mais on perd de la liberté. Sauf qu'on a pas l'impression que ce soit vraiment ce qui se profile. A ma connaissance, aucun pays ne l'applique, seule la Finlande fait un test sur un échantillon très restreint. En France la campagne du socialiste Hamon proposait de mettre en place ce R.U. Le fiasco de sa campagne prouve que nous en sommes encore loin.

 

 

 

Conclusion

Pas de révélation importante, mais quelques informations chiffrées et pertinentes qui permettent de démasquer certains discours sur les GAFA, relayés par les médias dominants, selon lesquels ces entreprises auraient pour seule et unique vocation notre bonheur.

 

 

 

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