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PHILOSOPHIE, SOCIOLOGIE, POLITIQUE, HISTOIRE, EDUCATION, ENVIRONNEMENT, RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES

23 Aug

Notes de lecture, Irène Pereira, Paulo Freire, pédagoque des opprimés, Libertalia, 2017

Publié par J. CORREIA  - Catégories :  #éducation, #philosophie

Notes de lecture, Irène Pereira, Paulo Freire, pédagoque des opprimés, Libertalia, 2017

Petite déception à la lecture de cet ouvrage publié aux éditions Libertalia, probablement due à mes attentes particulières.

Suite à la découverte de la Pédagogie des opprimés de Paulo Freire et de l'important courant éducatif qu'il représente aujourd'hui en Amérique du Sud comme en Amérique du Nord, j'attendais de cet ouvrage, au vu du sommaire, des éléments concrets (chiffrés?) sur cet héritage.

L'ouvrage d'Irène Pereira reste globalement dans l'abstraction. La présentation presque académique de la pédagogie critique me semble faire peu honneur à sa radicalité. le développement du texte fait plus penser à un mémoire de maîtrise, où l'on remplit un texte vide par de longues citations.

 

D'une manière générale, pour s'initier à la pédagogie critique, je recommande de lire directement les ouvrages de Paulo Freire. Certes, les éditions en français sont rares, mais la plume de Freire est d'une grande limpidité, sans fioriture, et va droit à l'essentiel.

Cette présentation ne consistera donc pas en un résumé de l'ouvrage, mais sera simplement l'occasion de quelques remarques complémentaires à mon compte-rendu précédent sur la Pédagogie des opprimés.

 

 

 

 

Si l'ouvrage ne répond pas à mes attentes, c'est que la question qui me semble déterminante, après la lecture d'un ouvrage tel que La pédagogie des opprimés1, est la suivante : comment peut-on initier une telle pédagogie critique envers la société, au sein des institutions modernes ? C'est un point sur lequel a butté Paulo Freire puisque lui-même démissionnera par deux fois au moins, sinon plus, de postes clés qu'il avait pu obtenir au sein de ces institutions.

Car il est évident qu'une pédagogie qui remet en cause les inégalités, les oppressions et le système qui les justifie ne peut guère trouver que de l'hostilité de la part de la pensée dominante, très prégnante dans ces institutions.

 

Aucune interrogation sur ce point sensible donc dans cet ouvrage. J'espérais avoir quelques éléments sur la mise en pratique de cette pédagogie en Amérique mais cela reste très restreint.

 

Lorsqu'on nous présente l'héritage de Paulo Freire, on parle principalement de l'héritage intellectuel (énumération d'intellectuels s'inspirant des idées de la pédagogie critique), pas de la mise en pratique de ces idées.

 

Il faut toutefois nuancer, on y apprend tout de même que le Mouvement des Sans Terre, ainsi que le Parti des Travailleurs du Brésil se sont largement inspirés, lors de leur formation, des idées de Paulo Freire. Qu'en Argentine, des écoles autogérées, les Bachilleratos Populares, explicitement fondées sur la pédagogie critique, sont parvenues à imposer la reconnaissance de leurs diplômes à l’État ainsi que le versement de bourses et le traitement des enseignants.

Mais cette expérience n'est pas développée. De même, il n'y a rien sur la mise en pratique de la pédagogie critique aux États-Unis : à quel niveau cette pédagogie est-elle développée ? Quels sont ses acquis ? Y-a-t il des établissements spécifiques ? Sont-ils reconnus par les institutions américaines ? Comment celles-ci s’en accommodent-elles ?

 

C'est justement le point sensible où tout se joue et il faudra se contenter de quelques miettes.

 

 

Pour le reste du document, la biographie, qui constitue le premier chapitre du livre, n'apporte que peu de choses nouvelles par rapport à ce que l'on peut trouver en français sur le net. Elle comporte même une erreur lorsque l'auteure affirme que Paulo Freire passa 25 ans en exil alors que celui-ci dura entre 1965 et 1980...

 

 

Par rapport à ce que j'ai pu dire sur Montessori, Irène Pereira confirme ma comparaison : Paulo Freire reprend certains éléments mais les dépasse :

« il [Paulo Freire] souligne l'importance pour le pédagogue de s'appuyer sur la curiosité naïve de l'élève tout en dépassant les limites et les impasses des pédagogies dites des centres d'intérêt. Cette curiosité spontanée des élèves n'est en effet pas vierge, comme le laissent parfois entendre des conceptions pédagogiques qui semblent se référer à un enfant tout droit sorti de l'état de nature. Cette curiosité est bien souvent déjà construite par les médias ou la publicité, par exemple. »

 

 

J'ai également remarqué quelques similitudes entre Ivan Illich et Freire. Ici, Irène Pereira précise que Freire se distingue d'Illich2 en ce que sa position ne condamne pas la science, la culture, etc. Le pédagogue brésilien estime qu'il n'y a pas de fracture radicale entre les connaissances populaires et les connaissances scientifiques.

Irène Pereira en relève l'enjeu politique en citant Lénine (qui ne fait d'ailleurs que reprendre sur ce point Kautsky) qui écrivait « la conscience politique doit être apportée de l'extérieur de la classe ouvrière ». D'où une conception du militantisme comme affirmation d'une science devant éclairer les masses ignorantes.

A l'opposé, pour Freire, le militant n'a pas à se positionner comme possesseur d'un savoir scientifique, érigé en vérité absolue, comme condition de possibilité de l'émancipation de l'humanité. La connaissance critique n'est pas figée, elle doit être un processus dialogique.

 

 

Autre point qui me semble important : selon Irène Pereira, il appartient aux pédagogues féministes d'avoir mis en lumière un impensé de Freire. Dans une relation dialogique, ce sont souvent ceux qui ont confiance en eux-mêmes et qui maîtrisent le mieux l'expression orale qui finissent par s'imposer. Comment éviter cela ? Si la pratique pédagogique de Freire a bien dû tomber sur ce phénomène, il reste que ses écrits n'en parlent pas, et n'évoquent pas non plus la question féminine. Les pédagogues féministes ont mis en place des outils pour réguler ce phénomène.

 

 

Enfin, le dernier chapitre évoque les avantages possibles d'une application de la pédagogie critique en France.

Constatant que les réflexions actuelles sont empêtrées dans des querelles de techniques pédagogiques qui font passer au second plan l'élément politique, Irène Pereira invite à repolitiser l'éducation, par le biais de la pédagogie critique.

 

Les travaux de Bourdieu et Passeron (La reproduction) ont corroboré les intuitions de la pédagogie critique, mais celle-ci ne s'arrête pas à ce simple constat et veut faire de l'école un lieu de résistance. Une telle pédagogie permettrait en effet de lutter radicalement contre l'idéologie néolibérale et/ou conservatrice.

 

 

 

1Et également de la Philosophie des professeurs de François Châtelet.

2On y apprend qu'Illich et Freire se sont rencontrés en 1974 lors d'un séminaire à Genève.

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